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Recherche et évaluation
Recherche et évaluation
Le projet Démos s’inscrit dans la lignée des dispositifs expérimentaux qui visent à impulser de nouvelles dynamiques dans le champ de l’éducation artistique et culturelle. Pour occuper cette place de choix aux frontières de l’innovation, Démos accorde depuis ses débuts une grande importance aux travaux de recherche et d’évaluation qui permettent de questionner sans cesse son objet, sa démarche et ses objectifs. Démos confie ainsi régulièrement à des équipes de chercheurs de laboratoires français et européens des études mesurant les effets du projet et accompagnant les évolutions du dispositif. Plus récemment, Démos a également mis en place une cadre d’évaluation interne permettant de rendre compte de l’impact social du projet.
Historique des études
Recherche et évaluation
Les projets d’éducation artistique et culturelle suscitent généralement l’enthousiasme de ceux qui les portent -territoires, institutions, équipes éducatives-, enthousiasme corrélé aux observations faites sur le terrain et qui confirment les attendus exprimés au moment de la conception des projets. Les jeunes adhèrent en effet majoritairement à ce qui leur est proposé. Ils manifestent du plaisir, témoignent de la reconnaissance et disent qu’ils apprennent beaucoup. De plus, leurs parents sont satisfaits et expriment très souvent le désir que ces actions se renouvellent.
Cependant, aussi rassurantes soient-elles, ces observations ne suffisent pas à comprendre les effets réels de Démos sur les enfants et les familles impliqués. Démos porte un projet de démocratisation artistique et culturelle ambitieux au cœur de territoires touchés par de multiples difficultés sociales et économiques. Si l’éducation artistique et culturelle est reconnue pour favoriser le développement des capacités cognitives et émotionnelles, contribuant ainsi à la formation d’individus épanouis et socialement bien intégrés, on manque encore d’étude sur les effets spécifiques des innovations pédagogiques et musicales de Démos, fondées sur l’apprentissage de la musique en groupe et sur la coopération entre professionnels du champ social et de la culture. Evaluer le dispositif et ses effets à l’échelle individuelle et collective participe d’une réflexion pédagogique et sociale qui pourrait bénéficier à l’ensemble de la communauté éducative.
Des études pour analyser en temps réel les effets du projet
La nécessité d’évaluer de manière précise les hypothèses sur lesquelles s’est construit Démos s’est affirmée dès le départ : pratiquer la musique quatre heures par semaine en groupe favorise-t-il réellement l’estime de soi, les capacités d’attention et d’empathie des enfants ? Le développement de ces capacités joue-t-il un rôle dans leur parcours scolaire ? L’accès à la musique classique change-t-il le regard des enfants et de leurs familles sur la place qu’ils peuvent occuper dans la société ? Les pratiques des professionnels qui se sont engagés dans Démos sont-elles transformées par le projet ? Les dispositifs Démos produisent-ils des reconfigurations au sein des systèmes territoriaux où ils prennent place et quelles sont leurs interactions avec les pratiques développées sur les territoires ?
Pour répondre à ces questions, la recherche autour de Démos s’inscrit au croisement de différentes disciplines, des sciences humaines et sociales (ethnologie, sociologie, sciences de l’éducation, géographie sociale…) aux sciences cognitives. Une dizaine d’études ont été finalisées depuis les débuts du projet, et cinq sont actuellement en cours. Il en existe globalement deux types : des études descriptives, qui documentent des situations particulières et permettent de mettre en évidence les processus mobilisés et leurs dynamiques, et des études d’impact qui permettent de mesurer quantitativement l’influence du projet Démos, et ce, principalement sur les bénéficiaires directs. A mesure que Démos s’inscrit durablement dans le paysage national et que les effectifs d’enfants augmentent et se renouvellent (bientôt 6000 enfants), ces études offrent un meilleur recul sur l’évolution du projet. Ainsi, les questions abordées dans une recherche donnée peuvent être abordées à nouveau dans des études ultérieures, pour réactualiser la collecte et l’interprétation des données sur le sujet.
Quelques résultats des études conduites sur le projet Démos sont présentés ci-après.


Les bénéficiaires directs
Les études descriptives et d’impact du projet sur les bénéficiaires directs sont les plus nombreuses. On peut citer par exemple l’étude qualitative du cabinet Copas qui montre l’efficacité du dispositif dans le développement du goût et des compétences musicales des enfants. Le désir de poursuivre la pratique est clairement exprimé par la moitié des enfants interviewés et ce désir est relayé par les familles qui grâce au projet ont pris conscience que l’école de musique leur était accessible. Cette observation se trouve confirmée par la réalité des chiffres des inscriptions en septembre dans les conservatoires : environ 50% des enfants qui sont allés jusqu’au bout de la première phase de Démos. Il est important de noter que cette tendance n’a pas changé au cours des phases suivantes de Démos. Cette étude pointait également des effets éducatifs et sociaux positifs sur l’attitude, la concentration, la confiance et l’estime de soi, qui sont mis en en avant par les travailleurs sociaux, les musiciens, les familles et parfois par les enfants eux-mêmes, en particulier les plus âgés.
Cette première analyse qualitative du projet Démos a été confortée récemment par une étude longitudinale de neurosciences cognitives conduite dans deux écoles primaires de Marseille entre 2016 et 2018. Cette étude a démontré que l’apprentissage musical proposé par Démos a une influence positive sur le développement neurocognitif d’enfants issus de milieux défavorisés. En particulier, une amélioration significative de l’intelligence générale, des capacités de concentration et de la précision de lecture est observée. Ces résultats montrent des effets de transfert d’apprentissage de la musique vers différentes fonctions cognitives et soulignent l’importance de l’éducation musicale à l’école.
Une autre étude dans le domaine des neurosciences cognitives est actuellement en cours. Elle interroge les effets de l’apprentissage musical en orchestre sur les capacités d’empathie, les modalités d’interaction (interaction sociale), et les compétences affectives des enfants. Si les effets de la musique sur le développement cognitif individuel sont relativement bien connus, on sait encore bien peu de choses sur la manière dont la pratique musicale peut moduler notre cognition sociale et, plus généralement, notre disposition à l’interaction sociale. Il s’agit pourtant là d’un enjeu de société majeur, qui est au cœur même du projet Démos. En effet, jouer de la musique en orchestre, en tant qu'activité artistique collaborative, requiert de la part des participants des compétences non seulement techniques, mais également émotionnelles, et sociales ; compétences qui s'acquièrent et se renforcent au cours de l'apprentissage. En observant et mesurant les interactions à l’œuvre au sein de trois orchestres Démos, cette étude a pour objectif de comprendre les mécanismes par lesquels la pratique régulière dans un ensemble musical favoriserait un développement psychologique et affectif fondamental, à l’origine de l’empathie. Les résultats préliminaires tendent à indiquer une progression de compétences sur différents points (reconnaissance des émotions, y compris à des niveaux de complexité élevés, flexibilité cognitive, mémoire de travail) liés à la pratique au sein des orchestres Démos.
Mais quels sont les effets produits à long terme sur les participants au projet ? Une enquête sociologique sur le parcours de vie de jeunes qui ont participé à la première phase du projet Démos entre 2010 et 2012 est actuellement en cours. A travers des méthodes d’enquête propres à la sociologie qualitative tels que l’entretien biographique et l’observation, il s’agit d’étudier le devenir éducatif, social, professionnel, mais également musical, des jeunes Démos, ayant aujourd’hui entre 16 et 20 ans. Cette étude permet de réfléchir aux effets de l’apprentissage de la musique dans Démos sur les opportunités et les choix qui ont configuré les trajectoires postérieures de ces jeunes.
Les familles
Pour mieux connaître les familles d’enfants participant à Démos, sélectionnés par des acteurs du champ social et éducatif, des enquêtes quantitatives ont été conduites à deux reprises depuis le début du projet pour analyser leur profil sociologique et leurs relations initiales aux pratiques culturelles. Ces deux enquêtes montrent que les parents se différencient socialement des publics habituels de la musique classique. En 2010, il y avait 4 orchestres Démos sur le territoire et l’enquête montre que les caractéristiques sociales des quartiers prioritaires de la ville (nombre d'enfants à charge, catégories socio-professionnelles, taux de chômage des parents) se retrouvent bien à l’échelle des 370 enfants impliqués dans le projet. La seconde enquête réalisée entre 2016 et 2017 permet de préciser certains de ces éléments. 30 orchestres sont alors déployés sur le territoire national et l’enquête conduite auprès des familles de 13 orchestres a obtenu un taux de réponse de 60%. Cette enquête montre qu’en dépit du taux assez élevé de non répondants (40%), il existe une certaine mixité sociale parmi les familles ayant répondu à l’enquête. En effet, les données recueillies concernant le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle des parents, le rapport à la musique, le pays de naissance et le nombre d’enfants à charge témoignent du fait qu’une part non négligeable de ces familles est dotée d’un capital culturel assez élevé et que leur faible capital économique serait lié à des trajectoires de migration entraînant un déclassement professionnel. Ces résultats sont à prendre avec prudence car la proportion de non-répondants (40%) reste élevée et a certainement pu opérer un filtrage social des parents favorisant les mieux disposés à renseigner un questionnaire. Cette forme de mixité sociale mise au jour est un levier de médiation supplémentaire pour le fonctionnement du projet Démos dans son ensemble.
Les cultures professionnelles
L’effet du projet sur les pratiques des professionnels (travailleurs sociaux, musiciens et chefs d’orchestre) qui se sont engagés dans Démos en raison de son caractère innovant est étudié d’un point de vue ethnosociologique. Travailleurs sociaux et musiciens ont en effet pu explorer et se former à des pratiques qui leur étaient peu familières (modes de coopération interprofessionnels inédits, pédagogie collective), ayant un impact sur les dynamiques internes des centres sociaux et des conservatoires. Ces études mettent au jour la diversité des parcours de formation et vies professionnelles des intervenants musiciens et terrain, comme source de richesse et d’ouverture pour le projet dans ses modalités d’appropriation, de ressources, d’apports et de possibilités d’adaptation. Démos est principalement vu comme un ressort pour le développement de soi et du métier, l’engagement des musiciens reposant surtout sur leur motivation à découvrir les dimensions sociale et pédagogique ; celui des référents terrain tenant de l’intérêt pour le milieu associatif, l’action sociale ou culturelle. Une analyse de l’articulation des compétences envisagées en complémentarité, pour former une équipe pédagogique cohérente autour des enfants, souligne le rôle de Démos dans la remise en question des frontières symboliques entre les catégories professionnelles de la culture et du champ social.
Les territoires
Une enquête réalisée en 2015 par l’Observatoire des Politiques Culturelles a interrogé la capacité de modélisation du projet en analysant la manière dont l’équipe de coordination met en place et anime un système de coopération propre à chaque territoire. Cette question est actuellement approfondie dans le cadre d’un programme de recherche en géographie sociale porté par l’Université de Pau et des pays de l’Adour, qui vise à comprendre et analyser la manière dont un système territorial réagit à l’intégration d’un nouveau dispositif d’inclusion sociale par la musique, afin de pouvoir accompagner son évolution une fois que le dispositif s’installe.
Un cadre d’évaluation interne pour mesurer l’impact social du projet
Démos a récemment mis en place en interne un cadre d’évaluation de l’impact social du dispositif. Celui-ci repose sur la systématisation de la collecte des données de bases nécessaires au recensement des orchestres Démos et de leurs modèles de fonctionnement et sur la définition de nouveaux indicateurs de réussite du projet. Ces derniers sont basés sur des données provenant de questionnaires d’autoévaluation administrés aux coordinateurs des orchestres ainsi qu’aux enfants. Les premières données nous parviendront au cours de l’année 2020.
Comité d’Orientation Scientifique de Démos
La Cité de la musique – Philharmonie de Paris s’est entourée d’un Comité d’Orientation Scientifique (COS) pour analyser le projet Démos et la dynamique de recherche et d'évaluation qui l’entoure, et formuler des recommandations sur ses futures orientations.
Le COS rassemble des experts de renom, originaires de différents continents et représentatifs des mondes académique, scientifique, économique, littéraire et artistique.

Geoff Baker, chercheur en anthropologie de la musique à l'Université Royal Holloway de Londres
Françoise Benhamou, professeure d'économie à l’Université Paris XIII
Maurice Corcos, professeur de psychiatrie infanto-juvénile à l’Université Paris-Descartes
Maria Majno, vice présidente de El Sistema Europe et présidente de la Fondation Mariani pour les neurosciences et la musique à Milan
Christian Maroy, professeur titulaire au Département d'administration et fondements de l'éducation à l'Université de Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politiques éducatives
Sharon Peperkamp, directrice du département d'études cognitives de l'École Normale Supérieure de Paris
Robert Zatorre, professeur de neurosciences à l'Université McGill et co-directeur du BRAMS (International Laboratory for Brain, Music and Sound Research) à Montréal
Réuni pour la première fois en octobre 2018, le COS a conduit une réflexion autour de la question générique : « Que devrait être la recherche autour du projet Démos et comment l'utiliser pour accompagner le déploiement du projet ? » La réflexion a notamment porté sur le rôle de Démos dans le domaine des innovations pédagogiques. Le comité a réalisé ensuite une synthèse, au terme de deux jours de travaux.
Ces recommandations ont été particulièrement utiles pour définir un schéma directeur de la recherche et de l’évaluation pour la phase 4 du projet Démos. Ainsi, en liaison avec les responsables de Démos, et dans une approche résolument pluridisciplinaire, le COS :
- •identifie les thèmes prioritaires pour les recherches, définit la stratégie générale
- •définit les appels d’offres
- •choisit les projets avec l’aide éventuelle d’experts externes
- •est attentif à la participation de jeunes chercheurs aux appels d’offres
- •délègue le suivi à un Comité de pilotage, dont il définit la composition et suit le travail